Chroniques

Cosmopolitan et Causette

Il y a un mois, jour pour jour, dans un autre bar, je profitais de ma tribune radiophonique pour fustiger le livre électronique en comparant la découverte et la sensualité tactile d’un livre papier avec le plaisir voluptueux que pouvaient me procurer les jouissances de la rencontre d’une femme à étreindre et de ses potentielles tentations chaleureuses à éteindre.

Fier de ma démonstration qui me dédouanait enfin, croyais-je, de tout sexisme ambiant, de tout machisme en bois et de toute bite en biais, en offrant un hommage vibrant à toutes les filles qu’on a aimé avant qui sont devenues femmes maintenant, à leur volcan de larmes, à leur torrent de charme, c’est sous les compliments d’un auditoire bienveillant que je sortais de scène comblé de bière et de vaniteuses réactions copieusement encouragée par une adipeuse érection, aussi discrète qu’incontrôlable.

Elle ne dura pas longtemps. Une jeune demoiselle aux petits airs charmants dans ce café-squat tapageur qui ne servait ni foin, ni limonade, me prit à partie et du haut de mes fiertés encore fraîches, me tint à peu près ce langage :

« Hé bonjour monsieur Lorenzo, que vous êtes joli, que vous me semblez beau, sans mentir, votre papier avait un beau ramage. » « Oui, c’est un grammage 135 couché demi-mat satiné », lui rétorqué-je, dans un esprit léger aux notes d’humour exacerbées que toute fille de son acabit et de sa poitrine fournie pouvait m’inspirer en ces instants de douce euphorie. « Toutefois », me reprend-elle, «maintenant ça suffit, faut arrêter avec les femmes, on en prend plein la gueule tout le temps, depuis Olympe de Gouges, Simone de Beauvoir et Christine Boutin on ne cesse de combattre ce machisme pesant, atavique et sournois dont nous sommes toutes victimes, il faudrait enfin que vous, mâles dominants et discoureurs de jupons, en preniez un jour conscience. Encore une fois, ta chronique s’appuie sur une image de la femme-objet que tu compares à un livre et ça devient un peu lourd» continue mon interlocutrice, venant peu à peu semer le bordel dans le fatras de mes incertitudes jusque-là enfouies dans l’alcool et l’autosatisfaction. « La femme, c’est pas un livre qu’on désire ou qu’on range dans une bibliothèque, tu sais», me tutoyait-elle enfin, en décelant sans doute les failles de mes fragilités s’entrouvrir tel un pistil qui s’offre et s’épanouit à l’abeille butineuse pour en sucer le nectar, «et ton discours métaphorique contribue à mépriser cette condition féminine qui souffre et qui geint en silence et qui aujourd’hui n’a d’autres solutions que de se révolter ou de s’abonner à Causette »

Ébranlé face à cet argumentaire qu’au fond, j’approuvais, tout en me remettant en question, je tentais de me ressaisir. Dans un élan de poésie qui s’accordait parfaitement avec mon humeur badine du moment, lovée dans les alcôves de mes agréables ivresses, je lui tins à peu près ce fromage : « Ainsi Pablo Neruda, lorsqu’il dit : « je veux faire avec toi ce que le printemps fait avec les cerisiers », c’est du machisme ? Comparer la femme avec un arbre en bois, c’est plus acceptable ?

Et quand Francis Cabrel chante « et te voilà bout de femme comme soufflée d’une sarbacane », qui s’est insurgé ?

Et j’aurais pu ressusciter Mallarmé, mais c’était trop tard, elle m’avait désarmé. J’étais désemparé, avec la conviction intime qu’elle avait raison et que je n’étais qu’un pauvre homme à la bite dominatrice qui ne saurait jamais exprimer sans déviance tout l’amour que je porte en elles et parfois, dans elles lorsqu’elles y contribuent dans un féminisme plus modéré. J’ai alors pris la décision de me taire, après 5 ans de radio et de chroniques sexistes, et de ne plus parler de la femme et de la comparer à un livre, à une sarbacane, à une lune, à un cerisier ou à une salope, parce que malgré tout, je reste convaincu qu’il en existe aussi.

Fort de cette résolution difficile, qui demandait d’avoir une paire de couille bien nantie, ce qui me concernant, et c’est fort heureux, est très objectivement le cas, n’en déplaise à cette demoiselle castratrice à qui je n’ai eu ni le temps ni l’honneur de les lui soumettre malgré l’envie de lui prouver à mon tour que je pouvais être un objet et que de m’assimiler à un tronc n’a jamais froissé mon égo, donc, fort de cette résolution je me trouvais bien dépourvu pour écrire ma chronique de ce soir.

Hier, lundi, il se trouve que j’étais à Paris. J’avais entendu qu’on ne pouvait circuler qu’en imper, j’avais donc pris le mien et je me promenais en toute légalité lorsque, préoccupé autant par mon inspiration volatile que par ce déni de sexisme qui m’engonçait depuis un mois, je me suis dit dans un éclair de génie : « Lorenzo, et si tu étais une femme ». Si l’instant d’une heure ou deux, tu te mettais dans la peau d’une femme pour mieux les comprendre. Une heure ou deux, pas trop quand même, on sait jamais si à mon retour ma copine n’a pas fait la vaisselle et n’a pas torché le gosse, je vais quand même pas me taper son boulot.

Mieux les comprendre, pour mieux les respecter. Plus tu les respectes, plus elles te prospectent. Je me trouvais à cet instant face un tabac – Presse – Tour eiffel made in-exploitation-enfant-chinois et c’est ainsi que je me décidais donc d’acheter un magazine féminin, fait par les femmes, pour les femmes. Sur le présentoir en évidence, deux magazines s’offrent à la curiosité de ma nouvelle vie de femme.

Causette et Cosmopolitan. Causette, Le magazine plus féminin du cerveau que du capiton, le capiton désignant soit un rembourrage de soie, soit une inflammation des tissus profonds sous cutanés, autrement appelée cellulite, ou Cosmopolitan, le magazine féminin sans trace de cerveau certes, mais sans capiton non plus, alors quoi, Causette, c’est quoi ce slogan de merde ? Beaucoup de mes amies lisant Causette, j’ai assez confiance en ce choix-là et ma culture de gauche aux relents de bonne éducation approuve également. Je saisis Causette, j’explore sa couverture veloutée, au toucher agréable d’une poitrine virile aux effluves matures des testostérones affables, je vous rappelle qu’à ce moment-là j’étais une femme censée préférer les hommes et j’en consulte le tarif.

Bon, le problème, Causette, c’est 4,90 euros et Cosmo, c’est 1 euro. Aïe. Causette, c’est pas pour les Thénardier, le féminisme a un prix que mes moyens ne peuvent pas se faire mettre. Je vous re-rappelle qu’à cet instant précis je suis une femme, et donc naturellement j’enclenche mon système immunitaire féminin et j’achète le Cosmopolitan à 1 euro, ça fera toujours 3 euros 90 d’économisé pour les prochaines soldes chez H&M.

Cosmopolitan : de la rédactrice de publication à la responsable de communication en passant par les journalistes et les rédactrices du sites web, c’est QUE DES FEMMES. C’est exactement ce qu’il me fallait ! Cosmopolitan, c’est 500.000 exemplaires vendus par mois, contre 60.000 pour Causette. Ravi d’avoir fait le bon choix, j’en commence la lecture.

Cosmopolitan, c’est 228 pages dont 150 de publicité pour, dans l’ordre : du parfum, du fond du teint, des fringues, des crèmes rajeunissantes, des fringues, des crèmes hydratantes, des fringues, du lait maternel, des fringues, du shampoing, du sérum intensif zones rebelles, des sacs, du soin intime et, ouf, d’une voiture. Swift de chez Suzuki, avec comme slogan : « so sexy ». J’ai même un échantillon de fond de teint lumière, révélateur de teint idéal de chez Vichy, et un d’eau de toilette de Yves Saint Laurent. Je suis très heureuse.

Dans cette jungle consumériste bannie effectivement de tout capiton capiteux, on arrive à trouver quelques articles des susdites journalistes, et j’ai bien dit susdite cher auditeur.

Dans l’ordre, « c’est combien ton look ? », « mincir c’est trop facile, astuces, applis et power creme », « j’ai testé les vêtements minceur », « les secrets des filles qui n’ont pas regrossi », « ma copine vire bio » et quand même, parce qu’il n’y a pas que les gros culs dans les préoccupations de ces femmes, un peu de sexe s’impose : « l’amour 2.0, le jour où je l’ai rencontré en vrai » et « sexe : oups, spécial confessions » avec ce témoignage poignant de Tiphaine, 25 ans : « au lit, mon nouveau chéri Renaud s’en donne à cœur joie au-dessus de moi et je ne boude pas mon plaisir. Au contraire, je me lâche et j’ose un « un peu plus vite ! ». Il accélère, puis fait une pause le temps de reprendre sa respiration. J’en profite pour changer de position. Adieu ma timidité ! A quatre pattes, je lui susurre de ma voix la plus sensuelle « viens en moi… » (au cas où le Renaud aurait pas compris, on est con, mais quand même !!!). Il répond, gêné : « désolé, j’ai fini ». Grand moment de solitude ».

Putain, là, j’ai compris qu’être une femme libérée, c’est pas si facile. J’ai décidé d’arrêter là mon expérience. j’ai été une femme pendant deux heures, et j’avoue qu’après la lecture de Cosmo, être une femme, c’est un truc de fou, c’est juste pas supportable et j’implore votre pardon pour toutes les saloperies que j’ai pu dire à votre égard. Mais, vous voyez, je suis pas le seul coupable. Et je me dis qu’au fond, c’est vrai, pour nous les hommes, les femmes c’est pas comme un livre. A l’image de notre société d’information débile, c’est plutôt comme un avion qui se perd dans la nature Malaisienne. Moins on sait, plus en parle…

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