En 1985, j’avais 15 ans, une scolarité aussi modèle que mon pucelage, mes copies côtoyaient les vingt mais c’est en vain que je côtoyais les copines. J’avais 15 ans, j’étais déjà trop grand et considérablement naïf, des lunettes affligeantes, et une confiance en moi aussi sereine que celle d’un Franck Ribéry face à une multiplication à deux chiffres. Je me sentais laid, frileux, indésirable et imberbe, et pourtant je sentais qu’à l’intérieur, mon corps transpirait, frémissait, se réveillait.
Cela te paraît improbable, jeune adolescent 2 point zéro, mais à l’époque, nous n’avions ni internet, ni téléphone sans fil, ni David Guetta… Et les choses auraient été tellement différentes si j’avais connu Didaïdou.
J’avais 15 ans, elle s’appelait Anne, elle était dans ma classe et dans mes rêves. Mais si les nuits, sur elle, je me branlais, les jours, devant elle, je m’ébranlais. Paralysé, incapable de l’approcher, tant elle me semblait belle et surtout inaccessible à la bête niaise que j’étais. J’étais en troisième, elle fut mon premier émoi, et moi, je ne lui ai jamais dit. C’est qu’un peu plus tard, un peu trop tard que j’ai compris qu’elle aussi attendait mon aveu pour me faire découvrir sous un angle plus ludique les langues vivantes, les propriétés du triangle isocèle ou la révolution des sans-culotte. Aaaah, si j’avais eu Didaïdou !!!
J’avais 15 ans et youporn n’existait pas. Il fallait attendre le premier samedi du mois, à minuit pile pour que les citrouilles gonflées de mes ardentes frustrations se vident dans les carrosses des plaisirs solitaires, et encore il fallait avoir beaucoup d’imagination pour deviner les licencieux ébats derrière l’écran crypté de canal +. Ah si j’avais eu 15 ans en 2012, je ne serais jamais passé pour un con, lorsque 3 ans plus tard, j’ai fait jouir ma première conquête et que je l’ai regardé de travers parce qu’elle ne faisait pas fzrzrfrzrfzrzfzrzrffzfzfzfzf.
Hier soir, pour les besoins de ma chronique, j’ai un test sur mon PC. En trois clics, 30 secondes, c’est minuit sur canal +, mais en clair, c’est porte ouverte 24h/24h, le grand déballage, le vide grenier familial, agrémentés de messages publicitaires sans équivoque : « des femmes de ta région veulent baiser ce soir, pas besoin de carte de crédit, complétement gratuit, inscris toi et baise ». Aaaaha, Tout ce temps perdu quand j’avais 15 ans ! Aaaah, si j’avais eu Didaïdou!!!
J’avais 15 ans, un vélo rouge, mes angoisses et mon seul désir d’offrir à mon corps ce que mon cœur attendait de lui. Tu veux l’embrasser ? Démerde toi tout seul. Faire front sans se cacher. Sans mail, sans sms, pas droit à 160 caractères, juste une bonne paire de couille. Il a fallu apprendre, se forger, se forcer. J’en ai chié !J’ai appris la guitare, j’ai appris à faire rire, j’ai pris des claques, j’ai appris les larmes, j’ai appris à parler, à écrire, à communiquer, le regard, les gestes, les sens, j’ai appris à passer pour un con et à essayer de m’en foutre… Mes premiers émois, j’ai dû aller les chercher, les travailler, à la sueur de mon front et aux ampoules de mes mains. C’était Germinal, la mine et le charbon. Pour extraire quelques grammes de frissons amoureux, il fallait parfois y passer des semaines, des mois, contre combien de coup de grisou ? Aaaaah, si j’avais eu Didaïdou !!!
Car aujourd’hui, Ouf !!!Tout ça, c’est fini. Depuis 15 jours Didaïdo est là. Fin des émotions vaines, des frissons pénibles, des attentes insupportables, des regards complices, Facebook a inventé le Didaïdou !!!
Didaïdo.
Di comme ditch. En anglais « balancer, abandonner, plaquer ». Daï, comme Dine. En anglais « diner » et enfin Do, comme «do», que l’on peut traduire par « faire, passons à l’acte ».
C’est tout con et je vous explique comment ça marche. Prenons un exemple concret, crédible, palpable et proche de nous. CSP, tu es célibataire, jeune, reconnu pour tes talents de bloggeurs, le teint frais, le poil discret et le charme d’une aquarelle de Marie Laurencin, bref, didaïdou est fait pour toi. Tu installes l’appli Didaïdou sur ton facebook, tu vas sur tes amis et tu réponds à la question : « tu te verrais bien avec Marine L.P. : difficilement, diner ou dormir ». Oui, l’application a été francisée en didido.
Ainsi, tu as trois choix. 1er choix : Même avec la dépénalisation du cannabis et une prise exagérément quotidienne et excessive, tu considères la virtualité de cette femme comme un véritable atout dans votre relation amicale et tu lui réponds « difficilement ».
2ème choix : Tu n’en peux plus des soirées en solitaire, banc de muscu-salade protéinées et tu te dis qu’un bon petit resto du terroir en sa compagnie pourrait être agréable et tu coches « diner »
3ème choix : Ses cheveux blonds platines retombant sur sa généreuse et affable poitrine de quadra nationale ont toujours provoqué chez toi une inavouable envie de partager sa flamme et là, tu réponds « dormir ».
Ce qui important, c’est que pour l’instant, ton amie Marine, ne sait rien de tout cela. Mais, tu sais, ton charme militant et ta coiffure militaire ont le pouvoir exquis de ne pas laisser insensibles les cœurs de marbre froid.
Et, t’imitant, elle remplit ton profil de ses vœux les plus sincères à ton égard.
Ainsi, vous voulez « le faire » tous les deux et hop, dans l’heure, Facebook vous envoie un message qu’ensemble tout est possible.
Autre possibilité : CSP veut le faire et Marine veut juste « diner » et hop, Facebook vous dit que vous pouvez aller diner : Mais Marine ne saura jamais si CSP veut se la faire ou veut simplement « diner ».
CSP s’obstine et veut toujours et encore « le faire », mais voilà, Marine à d’autres roms à fouetter et coche «difficilement». Aucun message et Marine ne saura jamais rien des perversités frustrées de notre malheureux CSP, qui lui, pourra toujours se consoler en se disant que c’est parce que Marine n’a pas téléchargé l’application.
Et encore, nous en sommes qu’au balbutiement de l’application. On peut imaginer d’autres possibilités plus audacieuses. Une fois le « do » avoué, on pourrait télécharger, pourquoi pas, le «cusodav», cuni, sodo, avale. Plus rien ne semble pouvoir nous choquer, pourquoi perdre du temps avec des fleurs inutiles, des rendez-vous fébriles, des angoisses essentielles, et des suspenses qui font tout bouger à l’intérieur et qui font qu’on se sente vraiment humain, enfin.
Didaïdou, c’est un tue l’amour pour notre jeunesse, une arme de destruction massive du romantisme à la Jane Austen, le Enola gay des cœurs, l’heure est au nucléaire des passions latentes, excitantes, éradiquant toutes les énergies amoureuses éoliennes où l’on pouvait sentir le vent frais et palpable des espoirs enivrants.
Didaïdou révolutionne les rencontres et assassine la parade amoureuse, le jeu, l’incertitude et tout ce qui est vivant en nous et qui nous différencie du sextoy à pile.
Dans le bac à sable de nos 15 ans modernes, on vient d’inventer la pelle facile et le râteau sans risque, et on se rend même pas compte à quel point, cela les rend sots…