On va tous crever, et on l’oublie trop souvent.
Oui, nous tous, ce soir, si vivants, si cœurs battants aujourd’hui, si courbatus demain, six pieds sous terre le jour d’après, forcément nous sommes voués à disparaître. Aussi vrai que les femmes sont faites pour être soit des fées soit des cochonnes, les Hommes sont faits pour être défaits ou détruits.
C’est ainsi que la vie s’éteint là.
Souvent, lorsque je regarde mon fils de 3 ans à travers ses yeux dont l’innocence rendrait envieux n’importe quel ministre du budget, et à l’insouciance d’un joueur de foot qui tente une équation à une inconnue (surtout si l’inconnue est mineure avec un bonnet F en silicone), dans ses yeux de petit prince qui ne devraient jamais nous faire oublier que toutes les grandes personnes ont d’abord été des enfants, je me demande s’il sait qu’un jour nous devrons nous séparer. Je me demande si, davantage conscient de cette séparation irréversible, il ferait plus attention à mes nerfs et m’emmerderait moins avec ses caprices débiles et ses hurlements nocturnes dénués de tout argument tolérable, lui qui se contrefout de mon discours quand je lui dis : « tu sais ton père va mourir et tu devrais envisager un rapport moins conflictuel avec lui ». Non, ne pleure pas, mon petit prince, oui, c’est tellement mystérieux le pays des larmes, mais encore plus celui de la mort. Et pourtant, on ne peut pas y échapper, alors pourquoi s’en cacher, pourquoi ne pas en accepter l’idée quand celle de l’éternité peut être encore plus vertigineuse et pourquoi tomber dans ce pathos inutile à la Guillaume Canet que je viens de vous servir insolemment alors que penser que l’on va crever c’est quand même super positif, puisque ça veut dire qu’on est toujours en vie.
Et si mourir peut s’avérer déprimant, vivre peut l’être encore plus. Prenez ce pauvre type parmi tant d’autres, dépourvu, désespéré, laissé pour compte par la vie et citoyen d’une misère sociale qui s’urbanise à grande échelle, 22 ans de petite vie derrière lui et un train à grande vitesse devant. Sur le lit de caillou qui forme le ballast, notre petit poucet ne s’aime plus, n’est plus aimé et à terre, reste amer. Le long du rail, il attend un choc qui le délivrerait d’une vie que plus aucune fille locale ou quelques plaisirs locaux, motivent. En se disant que finalement, il n’y a qu’une fin heureuse, c’est celle que l’on décide. Mais c’était sans compter sur ce bougre de conducteur qui aperçoit au loin cette jeune silhouette à occire et qui hurle, qui freine et il rue, braque, couine, la bête humaine s’ébranle et c’est volontairement que je mets un peu de sexe pour soulager ce récit oppressant, tremble, vacille et stoppe net sa trajectoire funèbre avant que le corps du garçon exposé au drame ne s’explose dans la rame.
Et dans son ironique destin, le voici en train. Toujours en train de vivre. C’est quand même couillon, parce que c’est ici que les ennuis commencent pour le jeune homme. La SCNF dans un élan de philanthropie à but lucratif, a décidé de le poursuivre en justice pour perturbation de trafic et le voilà qu’il risque deux ans de prison et 4.500 euros d’amendes. Sans doute, se sont-ils dit que ce jeune con avait besoin d’un juste retour à la réalité pour le remettre sur de bon rail. D’autres ont eu plus de chances. Des cheminots qui ne freinent pas à temps avant l’impact final, on en compterait 2 par jour en France. En 2012, l’augmentation des suicides ferrés serait de 30 %. Entraînant, retard en cascade, trains supprimés, conducteurs inaptes à la reprise de travail et cela a forcément un coût.
La SNCF pense que poursuivre les suicidaires serait dissuasif. « Attention, si vous passez sous un train, vous vous exposez à des problèmes. Tu-tu-tu-lup. SNCF, à nous de vous faire préférez le train »
Alors, pour dédramatiser la chose et préserver les âmes sensibles qui croient encore que plus la belle la vie est un documentaire de Depardon sur la vraie souffrance des habitants d’un quartier de Marseille, la SNCF appelle ça : accident de personne. Et Il est là, le mal de notre société. La pudeur des mots pour masquer la détresse.
Y’en a assez de cacher toute cette souffrance par des euphémismes mondains. Aujourd’hui, on euphémisme tout, faut arrêter de tout vouloir euphemismer, même si quand j’écris euphémismer ça me met des pénibles vaguelettes rouges sur mon traitement de texte pour me dire que euphemismer ça existe pas, mais de quel droit, ça existe pas, puisque je l’ai écrit !!!
L’euphémisme est la mort de notre société. C’est l’antibiotique qui nous empêche de nous guérir naturellement, qui assiste nos défenses immunitaires et affaiblit notre système humanitaire. L’euphémisme ne doit pas être automatique. Ce gars-là n’est pas un accident de personne. C’est une victime de notre individualisme ambiant de plus en plus oppressant et d’une misère sociale de plus en plus banalisée. Monsieur Euphémisme et madame litote, je ne vous fais pas un contact de promiscuité par voix anales, je vous encule : On ne s’éteint pas, on meurt, on est pas en déflation, on en est récession, on est pas mis en examen, on est une crevure de droite, on ne possède pas de compte en suisse, on est une ordure de gauche, on ne dit Marine Le Pen, mais grosse salope, on prend pas congés de la vie, mais on casse sa pipe, on a pas des relations buccales, on taille des pipes… Marre des litotes, des périphrases ou autres métonymies censées nous protéger, nous garder au chaud face à une réalité plus rude, alors que c’est justement dans l’adversité et le combat que l’homme peut se redresser quand un wagon l’étreint.
Comme disait Rocco Siffredi dans « Ejac facial weapon 4», prend un kleenex et regarde la chose en face, et si après avoir pleuré il te reste un coin sec sur ton mouchoir, essuie toi la bouche, il en reste un peu. Et tu verras, ça ira mieux. Parce qu’à se regarder mourir, on aura peut-être moins peur de vivre en sachant mieux profiter des choses essentielles tant qu’on le peut, et se prendre moins la tête pour cinq minutes de retard ou pour un baiser égaré sur d’interdites lèvres.
Je n’ai pas envie de partir sous d’autres soleils ou d’être l’accident de personne, je veux juste mourir le plus tard possible et surtout bien vivre avant.
Et plutôt que d’accabler les désespérés ou de nous faire croire qu’il existe un quelconque après, des étoiles qui nous accueillent ou un paradis où l’on se gaverait à volonté de pommes d’Adam en écoutant du Dave, si on nous disait haut et fort qu’après, il n’y a plus rien, sans en être certain, j’ai envie de croire que ça nous rapprocherait peut-être un peu plus, les nantis partageraient avec les miséreux, les moches sortiraient avec les beaux, Victoria Beckham avec mes insomnies, et tous les castrais de Labit et de Travers soulèveraient un bout de bois improbable que l’on nomme Brenus, et ce serait un monde merveilleux… Et on pourrait enfin dire, pour citer Thierry Roland en ce fameux soir de juillet 98 : après ça, on peut mourir tranquille…