Cher Francis,
Tu as eu 60 ans la semaine dernière, et pas de Stade de France, pas de une de Télérama, pas de Best of ni de Mac Flury, les vieux poètes meurent dans l’indifférence pendant que l’on regrette la disparition de Paul Walker que je ne connaissais ni dedans, ni de Dave, et surtout qui n’a jamais écrit d’aussi belles choses que toi. Mais c’est tout toi, ça. Toi, l’aquitain troubadour aux accents de l’Adour, tu as toujours été de cette discrétion sophistiquée et nonchalante, tout en récoltant les fruits de cet irrésistible charme, toi qui as ainsi vaincu tant de cœur, vainqueur d’autant de cul.
Où es-tu Francis ? Que deviens-tu ?
Tu sais que tu as été mon club de rencontre le plus efficient. Tes chansons champêtres et ton style rustique ont toujours su toucher la sensibilité exacerbée de ces filles acidulées que j’aimais, que j’aime et que j’aimerai et lorsque j’étais ado, je prenais ma guitare et mes accords de je l’aime à mourir assuré de ne jamais passer une soirée solitaire à faire jouer mes mains sur mon morceau de bois dans un amour plus bleu que le ciel autour.
60 ans, Francis. Mais revenons à je l’aime à mourir qui a contribué à ta renommée et à mon dépucelage. Francis, j’ai une question. Pourquoi depuis tant d’années on considère cette liquoreuse mélopée comme étant l’une des plus belles chansons d’amour alors que, lorsqu’on touche l’exploit de comprendre ce qu’elle veut dire dans ton monde illuminé, on y découvre un sombre tourment, un cri de souffrance face à l’insoutenable oppression de l’amour.
Francis, personne n’a jamais vraiment écouté tes paroles et compris tes paraboles. C’est un peu de ta faute aussi. Trop de métaphore, tue même à Astaffort.
Mais réparons aujourd’hui cette erreur et revenons ensemble sur cette chanson engagée.
Moi je n’étais rien mais voilà qu’aujourd’hui, je suis le gardien du sommeil de ses nuits. Oui, Toi, le jeune terrien, immature et insouciant, tombe amoureux d’une fille qui t’oblige à garder les yeux ouverts pour t’assurer qu’elle sommeille sans désordre et tu te sens déjà l’esclave de ses nuits. Pour elle, tu sais que tu vas mourir d’amour, mais la nuit, l’amour est encore plus aveugle que le jour, contrairement à ta nyctalope de salope qui se fout bien de ta gueule.
Vous pouvez détruire tout ce qui vous plaira, elle n’aura qu’à ouvrir l’espace de ses bras pour tout reconstruire. Peut-être. Mais si elle était si formidable que ça, ton amoureuse, pourquoi elle ouvre pas les bras pour les Philippines, pour la Syrie ou pour les radars bretons et tout reconstruire. C’est qu’elle s’en branle, Francis, et qu’en plus, comme toutes ces perverses narcissiques elle t’a menti et manipulé !!!!
Elle a gommé les chiffres des horloges du quartier. Alors, ça, tu aurais dû te méfier. Ainsi dans ses nuits lasses, de te savoir l’archange de son repos, cette garce partait faire la bringue avec ses potes jusqu’à cinq heures du mat, et toi, tu ne pouvais même pas lui dire (accent) « t’as vu à quelle heure tu es rentrée ? », parce que c’est ballot, la fourbe, elle avait gommé les chiffres des horloges du quartier !!!
Elle a fait de ma vie des cocottes en papier. c’est vrai, Francis, on ne peut envier personne d’avoir une vie en cocotte en papier.
Des éclats de rire. Oui, il fallait bien que lui trouves une qualité, à cette égérie, et tu as ri.
Elle a bâti des ponts entre nous et le ciel. Là, Francis, elle te prend vraiment pour un pont. Un pont entre toi et le ciel, c’est – pas – possible !!! Un pont, c’est forcément horizontal !!! C’est jamais vertical, or, entre toi et le ciel, c’est de bas en haut !!! C’est de la physique-géométrie de CE1, ça Francis…
Et nous les traversons à chaque fois qu’elle ne veut pas dormir, ne veut pas dormir, je l’aime à mourir. Je résume. Ta copine, le jour elle fait des cocottes en papier et construit des ponts verticaux, la nuit, tu surveilles son sommeil, et les fois où elle ne veut pas dormir, soit elle efface les chiffres des horloges du quartier, soit elle te propose de traverser des ponts inaccessibles. Dis-moi, Francis, ôte-moi d’un doute, tu l’as au moins baisé une fois, ton amoureuse à mourir ?
Elle vit de son mieux son rêve d’Opaline. C’est ce qu’elle t’a dit ça ? « Francis, avec toi, je vis de mon mieux mon rêve d’Opaline ». Et toi, face à la beauté des mots tu t’émerveilles et tu le répètes dans ta chanson ! Mais PERSONNE ne sait et n’a jamais su ce qu’est un rêve d’Opaline. Elle t’aurait dit, je vis de mon mieux mon rêve de Sopalin, tu l’aurais cru également, tellement tu étais naïf et engourdi par cet amour.
Elle danse au milieu des forêts qu’elle dessine. Et j’ai eu beau chercher d’un point de vue de la litote, de l’oxymore, de la prétérition, de l’antonomase, j’ai consulté le programme complet d’Hypocagne pour comprendre quelle figure de style tu utilisais, puis j’ai relu tout Breton et Tristan Tzara en fumant tout le Larzac, j’ai parcouru tous tes chemins de traverse, et je comprends toujours pas ce que vient foutre dans cette chanson, cette danse forestière.
Elle porte des rubans qu’elle laisse s’envoler, elle chante souvent que j’ai tort d’essayer de les retenir, de les retenir. Et voilà, ça commence. Tu veux lui rendre service, et tu as tort. Encore une fois, c’est toi qui as tort, et elle, toujours raison et en plus, elle te nargue en le chantant !!!
Pour monter dans sa grotte cachée sous des toits, je dois clouer des notes à mes sabots de bois. Pour accéder à sa chambre de bonne, tu dois te prémunir de clous de ré, de do, de si de la pour en couvrir tes sabots, tu trouvais pas ça contraignant, voire suspect ? En tout cas, avec tes sabots cloués de notes et ta moustache de bûcheron, on a vraiment la certitude que tu avais à faire à une perverse pour pouvoir être attirée par toi.
Et enfin, le voilà, le final, l’aveu, l’évidente douleur et la souffrance cachée
Je dois juste m’asseoir, je ne dois pas parler, je ne dois rien vouloir, je dois juste essayer de lui appartenir, de lui appartenir. Comment on peut dire que ça, c’est une chanson d’amour !!! Elle t’a eu Francis. Soumis et sous-merde. Mais je comprends que tu aies voulu en parler avec tant de pudeur à l’époque, aujourd’hui encore, le sujet reste tabou. On parle souvent des femmes victimes, oui, d’accord, mais on oublie toujours, qu’aussi, en France, un homme meurt de violence conjugale tous les 15 jours et que d’autres milliers sont psychologiquement persécutés. Une autre violence, aussi cruelle que celle des femmes mais moins reconnue, parce que plus invisible.
Francis, je ne sais pas ce que tu deviens, mais tu seras toujours un incompris, un martyr et un poète maudit. Et derrière tes chansons à deux francs six sous, Francis, sans souci, où que tu sois, tu resteras toujours à l’encre de mes yeux, le Jaurès de la chanson française, le Louise-Michel d’un militantisme sans commune mesure, le Jean Moulin d’une résistance silencieuse et que ça continue encore et encore, c’est que le début, d’accord ? d’accord. Bon anniversaire Francis.